Disons-le d’entrée : le week-end Soulages organisé par la MAC’A fut une réussite en tout point. Bel et bien piloté par Yolande et en bonne compagnie, notre groupe est revenu enchanté de ce séjour en Aveyron, pays natal de Pierre Soulages.
La MAC’A avait déjà approché l’œuvre du plus célèbre peintre français en activité en visitant les salles ouvertes par le musée Fabre de Montpellier en 2007, pour présenter la donation exceptionnelle de l’artiste. Certains d’entre nous ont vu ensuite les expositions présentées à Beaubourg en 2009 et à Lyon en 2012.
Il fallait évidemment découvrir le musée Soulages ouvert en 2014 à Rodez, ville natale de cet artiste peu enclin à ce qu’un musée porte son nom jusque-là, craignant la dérive musée/mausolée…Il faut ajouter que, personnellement, Pierre Soulages est moins attaché à Rodez où il est né en 1919 qu’à d’autres villes où il vit et travaille : Paris, Sète et Montpellier où, installé pendant l’Occupation, il a ressenti un « déclic » en visitant le musée Fabre. De plus, Montpellier est la ville de son épouse et fidèle complice qui l’a incité à faire le choix d’un musée Soulages à Rodez, si près de Conques où, gamin, Pierre Soulages a découvert l’art roman. L’artiste a donc accepté à une condition : 500 m2 seraient ouverts à une exposition temporaire d’autres artistes dans un musée qui ne serait pas ainsi uniquement monographique.
Nous avons découvert le musée Soulages au cœur de Rodez, dans le jardin du Foirail, à deux pas de la cathédrale et de la rue Combarel où Pierres Soulages a vécu son enfance. L’architecture résolument contemporaine est due au cabinet catalan RCR. Le bâtiment se déploie sur plus de 6000 m2, une succession de 5 cubes-monolithes sur un socle , le bardage est d’acier Corten : « plus les moyens sont limités, plus l’expression est forte » affirme le peintre. L’acier, soumis au climat aveyronnais, s’est oxydé et la couleur de sa patine est « brou de noix », bien en accord avec les œuvres de l’artiste qui utilise cette humble couleur. L’ensemble du musée et du restaurant Bras est en harmonie avec le cadre de verdure environnant: jardin au premier plan et monts d’Aubrac en fond. Les architectes ont pleinement tiré parti de l’implantation du musée en bordure d’un talus : l’entrée est située au rez-de-jardin et deux étages sont en sous-sol, avec des vues ouvertes sur le flanc du talus donnant sur le paysage, de ce côté l’architecture fait penser à des boites en porte-à-faux. L’espace est donc conçu entre ombre et lumière, parfaitement adapté aux collections de l’artiste.
Dans le grand hall (accueil/boutique/auditorium) nous avons rencontré notre guide pour une « immersion » dans l’univers de Soulages qui a souhaité prendre part à la scénographie du musée car, selon lui, son travail ne s’arrête pas à l’atelier. L’accès aux collections présentées sur 1700 m2 se situe au niveau -2 (le niveau -1 est réservé à l’administration/bibliothèque/médiation), on y parvient par un escalier profond et l’on plonge dans la pénombre de salles revêtues d’acier Corten , ici noir, non altéré, avec des passages hauts et étroits entre les salles, des hauteurs de plafonds différentes et des zones plus éclairées, le sol est en acier : j’ai eu l’impression d’être dans un sous-marin… A l’entrée, en débouchant de l’escalier, le premier regard est pour une grande photo de Soulages prise par Vincent Cunillère en 2013, pendant le chantier. L’artiste, tout en noir, impressionne par sa haute taille : 1,90 m et porte magistralement bien ses 93 ans.
La visite nous permet d’avoir un aperçu des 2 donations au musée, près de 500 œuvres, qui témoignent de l’ensemble de la production de Soulages : peinture sur toile ou sur papier, l’œuvre imprimé : eau forte, lithographie, sérigraphie, mais également bronze, inclusion sous-verre. L’accrochage est rigoureux, facilité par des supports magnétiques sur les murs d’acier.
Ces mediums démontrent le nombre de techniques qu’utilise l’artiste, et en regard de chacune des techniques, la lumière, notion chère à Soulages, dessine le parcours dans les différents cubes vus de l’extérieur, en alternant la pénombre pour les brous de noix et les passages éclairés pour les Outrenoirs, somptueux. Pierre Soulages a inventé le terme « Outrenoir » pour : « au-delà du noir », « au plus profond du noir », il pousse cette couleur à ses limites, l’anime paradoxalement. Soulages est sensible à « l’autorité » du noir, à sa « gravité », cette couleur se réfère aux origines, au mystère, comme celui d’une salle plongée dans le noir avant un spectacle… Faire surgir la lumière du noir, cette gageure, Soulages y parvient en striant ses toiles avec des brosses. De la sobriété naît l’éclat. Cet artiste est un géant, dans tous les sens du terme. J’avoue qu’outre le noir…le bleu de Soulages m’est souverain.
La visite se termine par l’espace lumineux, en forme de chapelle, réservé aux cartons grandeur nature (4 m) des vitraux de l’abbatiale Ste Foy de Conques. Une vidéo permet de suivre le déroulement de ce chantier de 104 vitraux conçus par Soulages entre 1986 et 1994, dont 7 ans pour trouver le verre « idéal ».
Nous ne pouvions pas quitter le musée sans respecter le souhait de Soulages d’exposition temporaire et nous avons vraiment beaucoup apprécié la rétrospective de Jésus-Rafael Soto (1923-2005), maître vénézuélien de l’art cinétique. Les œuvres colorées, aux effets optiques de cet artiste étaient très stimulantes, parfois troublantes et d’autres œuvres étaient ludiques car mouvantes et pénétrables !
Notre marathon s’est poursuivi avec la visite de l’imposante cathédrale gothique de Rodez, en grès rose, dont le chromatisme n’est pas sans rappeler l’acier Corten. Yolande nous a commenté les curieux vitraux contemporains de Stéphane Belzère placés en 2006, ils sont inspirés de l’imagerie médicale pour symboliser la vie, la pensée divine, le sacrifice du Christ en relation avec le réseau sanguin…
Notre tour de ville s’acheva au musée Fenaille qui présente une collection unique de statues menhirs, la plus importante de France. Là encore, nous suivons le fil « noir » de Pierre Soulages qui, adolescent, a participé à des fouilles archéologiques dans la région et a reçu le « choc » de ces stèles gravées préhistoriques dont la frontalité rappelle certaines eaux-fortes et brous de noix. Soulages a dit qu’en peignant, il avait présent à la pensée « ces moments d’origines ». Les correspondances entre le « minimalisme » préhistorique et contemporain interpellent. Par ailleurs, le cadre de ce musée est plein de charme puisqu’il réunit plusieurs corps de bâtiments, du Moyen- âge à la Renaissance
Après une nuit réparatrice à Rodez suite à toutes ces émotions esthétiques…, nous sommes naturellement allés à Conques, à 30 kms de la cité ruthénoise, pour voir les originaux des vitraux de Soulages dans l’abbaye Sainte-Foy construite au 12e siècle. Yolande nous a fait une présentation très pédagogique du tympan magnifique et miraculeusement intact qui représente le jugement dernier avec plus de 100 personnages dont un, malicieux, qui contemple cette sainte scène de l’extérieur et que l’on nomme « le curieux ». Le beau dimanche ensoleillé et la moindre affluence touristique en cette saison, ont été propices à une découverte lumineuse et authentique du lieu, photographié sous tous les angles ! Les vitraux de Soulages sont en parfait accord avec le style roman de l’abbatiale : sobre et pur. Les lignes obliques des vitraux suivent le sens de la lumière et le verre « neutre » la diffuse différemment selon l’heure, le temps qu’il fait, la saison…On peut curieusement y voir alors des reflets bleus, jaunes, verts…
De l’extérieur, les vitraux sont visibles à l’identique qu’à l’intérieur, ce que les vitraux « gothiques » ne permettent pas ! Les baguettes de plomb qui tiennent les pièces de verre s’accordent avec le gris du toit de l’abbatiale, l’harmonie est totale, comme dans l’édifice où règne une douce lumière, propice à l’apaisement et au recueillement.
Conques est un village pittoresque, niché dans la verdure, et nous avons parcouru ses jolies ruelles avant un bon déjeuner aveyronnais, avec aligot et arrosé de Marcillac…
Notre dernière étape fut pour le superbe viaduc de Millau, œuvre contemporaine s’il en est, dessiné par Norman Foster, conçu par l’ingénieur Michel Virlogeux et réalisé par le groupe Eiffage en 3 ans (2001-2004). On le découvre depuis un belvédère panoramique sublime, 340 m au-dessus du Tarn, record mondial de hauteur et bol d’air assuré ! Long de 2,5 kms, son esthétique coupe le souffle : tablier fin reposant sur seulement 7 piles élancées et supporté par des haubans qui lui prodigue l’allure d’un voilier. Le centre d’accueil du viaduc est situé dans une ancienne ferme caussenarde qui, outre les produits locaux de l’Aveyron et le restaurant gastronomique Bras, présente une vidéo sur la construction du pont mais aussi un éco-musée sur le site avant le pont.
Je confirme : ce fut un week-end de toute beauté !
Corinne