Une double visite à la Collection Lambert pour la MAC’A
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En ouverture : « Rayon fossile », d’Abdelkader Benchamma
Pour cette première sortie de l’année, les retrouvailles avec l’œuvre d’Abdelkader Benchamma étaient empreintes d’une certaine fierté pour la MAC’A. Pour mémoire, à son exposition de 2008 elle avait sélectionné de jeunes diplômés des écoles d’art du Sud dont il était. Et depuis il en a parcouru du chemin ce jeune artiste timide. Il a rencontré de beaux succès, nationaux et internationaux, de la biennale de Venise au Drawing Center à New-york en passant, entre autres, par Paris, Bruxelles, Doha et la villa Médicis à Rome.
Toujours fidèle au dessin qu’il réalise au stylo noir, à l’encre de chine ou au fusain, il varie ses approches, privilégiant parfois un trait minutieux d’une grande maîtrise, réalisé à main levée. D’autres fois il use de gestes amples et généreux pour franchir les limites du cadre et déborder sur les murs. Quand on lui demande comment il réagit au fait que ses œuvres murales seront recouvertes à la fin, il reconnaît que ça n’est pas toujours facile à accepter mais que c’est un choix. Et pour ne pas se focaliser dessus, il se tourne le plus vite possible sur le projet suivant.
Dans sa démarche, Abdelkader Benchamma cherche à créer, chez le visiteur, un trouble de la perception pour l’amener vers une nouvelle façon de penser l’espace, le temps et la vision. Il propose de nouveaux paysages mentaux et ouvre le champ des possibles. Pour ce faire, il pioche dans sa précieuse collection d’images, anciennes ou récentes, sur les sciences occultes, les comètes, le paranormal, l’ésotérisme, etc., toujours en décalage avec le réel.
Mémoire, empreinte, fossile
Avec « Rayon fossile », il poursuit ses recherches sur le dessin empreinte, créant une mémoire d’images fossilisées qui entraînent le visiteur vers le passé, l’avenir, voire la fiction. Son choix du noir sur fond blanc lui permet de mieux exprimer l’imaginaire, l’abstrait et de rester dans un champ de force, « dans la thermodynamique » comme il aime à dire.
Crédit photos: Jany Véziat
Le parcours de la visite est tracé pour imprimer un rythme au visiteur, pour qu’à chaque salle il ait le sentiment de pénétrer dans un nouveau monde. La mise en scène très structurée de la première salle, intitulée « Sculptures », regroupe une série d’œuvres monolithiques inspirées par le premier choc esthétique de l’artiste devant le monolithe noir de « 2001 Odyssée de l’espace » de S. Kubrick. Les œuvres, accrochées à une soixantaine de cm du sol, sont comme des sculptures sur leur socle.
Délires cosmiques
Dans la deuxième salle, on entre dans le dessin fiction. Ça explose de toutes parts, ça jaillie sur les murs. L’artiste trace dans l’espace des courants tumultueux, des tourbillons, alternant les aplats noir avec des strates très ciselées, qui donnent à imaginer des apparitions célestes, des éclairs, des lueurs, des tempêtes. Ses œuvres sont toujours dans le mouvement, dans le flux.
Pour son plus grand bonheur, le visiteur se laisse entraîner dans ces délires cosmiques jusqu’au bout du cheminement, atteignant l’apothéose au seuil de la dernière salle.
Abdelkader Benchamma aime réaliser ses grands dessins muraux qu’il dit vivre comme une sorte de combat. Il y dépense beaucoup d’énergie. Rien à voir avec son travail en atelier. Ici, pas de repentir possible, pas de retour en arrière. Le geste doit être sûr, pur.
Il est resté 3 semaines en résidence à la Collection Lambert pour réaliser cette superbe exposition qui occupe tout le rez-de-chaussée de l’hôtel de Montfaucon. Il apprécie énormément ce travail en équipe et le lien qui se crée le temps de la performance jusqu’à la fin de l’exposition.
(clôture le 20 février)
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Pour la suite :
« L’intraitable beauté de nos vies sauvages »
de Stéphanie Brossard
Stéphanie Brossard a également passé 3 semaines en résidence à la Collection Lambert dans le cadre du programme « RENDEZ-VOUS, sous-sol* », destiné à exposer des artistes émergents.
Par ses installations, cette jeune artiste avignonnaise, originaire de la Réunion, illustre les notions de territoire, de déplacement. Elle raconte, à sa façon, les mouvements de la terre, les événements climatiques, géologiques et les perturbations spécifiques à son île natale.
Dés la 1ére salle le visiteur est plongé dans ce qui fait le quotidien des insulaires, à savoir les tremblements de terre et le chaos qui s’en suit. Pour représenter ces catastrophes naturelles, l’artiste a installé sur un grande table reliée à un système d’enregistrement des séismes dans le monde, un monticule de terre de Roussillon qui s’effondre à chaque fois qu’une secousse est enregistrée. Dans le reste de la salle sont disposés de façon aléatoire des morceaux de plaques de marbre, figurant comme un espace de recueillement après le sinistre, dans lequel le visiteur peut déambuler.
D'un territoire l'autre
Dans la salle suivante, la notion de déplacement est au cœur de l’installation, symbolisé par des pierres de notre région disposées sur des planches à roulettes. Au FRAC Réunion 2020 où Stéphanie Brossard a déjà exposée, elle avait utilisé bien sûr des pierres de là-bas. D’un territoire l’autre, comme ses allers-retours entre Avignon et son île.
La visite se termine dans un espace où trône une baignoire qui se remplit ou se vide en fonction des différents cyclones sur la planète. Cette mise en scène est pure illustration d’un souvenir d’enfance de l’artiste. Petite, quand elle voyait sa mère remplir la baignoire d’eau potable elle devinait une alerte cyclone.
Souvenir encore que celui du père, soucieux de la solidité de la maison face aux catastrophes, avec ces parpaings empilés les uns sur les autres qui servent ici de socle à de petits objets.
Souvenir toujours, en référence peut-être aux boukans (les cabanons où s’entassent plein de babioles), ces fleurs séchées, ces petits bijoux en verre, ces bibelots, ces flacons remplis d’eau de l’océan etc., le tout mis en valeur sur les parpaings. On se croirait dans un cabinet de curiosités.
Comme dans un cabinet de curiosités
Dans ce qu’elle nous donne à voir, on sent bien que cette jeune artiste est tiraillée entre deux mondes. Certes, aujourd’hui elle est ici mais elle est encore beaucoup là-bas. Son passé, sa nostalgie, l’histoire de son île la remplissent, ce qui alimente avec bonheur sa créativité et participe probablement à son équilibre.
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Rencontre artistique à la Fondation Matias Huart
Pour clore cette sortie culturelle, les adhérents de la MAC’A avait rendez-vous avec Susanna Lehtinen dans la galerie de Matias Huart, rue de l’Olivier à Avignon.
« Arte è una cosa mentale »
Pour le propriétaire de cet espace, la phrase de Léonard de Vinci s’inscrit plus que jamais dans notre siècle. Dessiner c’est penser, comme une devise de la fondation. Matias Huart, artiste lui-même, présente ses œuvres au côté de celles d’artistes invités dont le travail est toujours en cohérence avec le sien.
Les dessins à l’ordinateur de Susanna Lehtinen sont tout à fait représentatifs d’une réflexion et d’un travail mental intense avant réalisation. Pour cela, elle souscrit totalement à la pensée de Vinci.
La créativité de cette artiste finlandaise est multiforme. Elle crée aussi bien des œuvres classiques, numériques ou des dessins à l’encre, parfois en écho à ceux de son hôte.
Certaines d’entre elles semblent inspirées des aurores boréales. Elle passe du noir du dessin à des formes pastelle très diffuses, évanescentes. Elle parle alors « d’atopie, ce flou improbable qui entoure l’objet en peinture. Il s’agit d’une rencontre, d’une humeur, d’une poussière d’émotion », citant Cézanne. Elle travaille beaucoup sur la lumière ou simplement son reflet, ses contours.
Quant à ses dessins numériques, seul l’outil informatique lui permet les agencements aléatoires, la traduction visuelle des ondes audio et les répétitions de motifs qui représentent l’immatériel et les vibrations intimes.
A bientôt !