Deux jours en visite sur la Côte d’Azur
1er jour : Roquebrune Cap-Martin
Cette escapade, organisée pour les adhérents de la MAC’A, a commencé par une destination de choix : Cap Moderne à Roquebrune Cap-Martin.
Pour cette visite exceptionnelle, une médiatrice attendait le groupe à la gare du Cabbé pour rejoindre le lieu-dit « La maison en bord de mer », également nommée villa E1027.
Le site « Cap Moderne » regroupe 4 lieux indissociables : le bar/restaurant « L’Étoile de mer » ; « Le Cabanon » de Le Corbusier ; « Les Unités de camping » ; et enfin, clou de la visite, la villa E1027(*).
1 - L’Étoile de mer
A l’origine un plombier de Nice, Thomas Rebutato, avait un modeste projet de cabane, située au-dessus de la villa, où entreposer son matériel de pêche et cuisiner ses prises de mer. Un architecte lui propose le plan d’un cabanon de 9,10 x 3,50 m, composé d’une chambre, d’un WC, d’un salon avec pergola plein sud et d’une entrée au nord. C’est cette cabane qu’il construira en 1949, en y ajoutant une cuisine en plein air au nord. Il veut crée un lieu « casse-croûte » pour attirer les touristes et les campeurs.
Lors d’un de ses séjours à la villa E1027, Le Corbusier sera un de ses premiers clients. Il reviendra à Roquebrune à plusieurs reprises et c’est alors qu’il mûrira son propre projet de cabanon, appuyé sur « L’Étoile de mer » à l’est. Quelques copies de peintures de Le Corbusier ornent les murs du restaurant et, dans le bar, T. Rebutato a réalisé une série de fresques ésotériques.
2 - Le Cabanon de Le Corbusier
Il est construit en 1952 pour sa femme, Yvonne, qui a du mal à se déplacer Ses dimensions – 3,66 x 3,66 m – reposent sur l’échelle du Modulor. Il disait lui-même que « c’est une œuvre minimaliste, la quintessence de toutes mes constructions ».
Un carré parfait, subdivisé en 4 rectangles, toujours dans le respect du nombre d’or. A l’intérieur, tout est fonctionnel, s’emboîte, s’encastre au millimètre près. Tout le cabanon est fait en bois de châtaignier venu spécialement de Corse. Une superbe table désaxée et marquetée ne sert à rien d’autre qu’à l’Art. Les volets/miroirs, avec des peintures au verso, renvoient la lumière et protègent de la chaleur. Seules touches de couleurs : les plafonds et une peinture du maître des lieux dans l’entrée.
Le Corbusier ne souhaitait pas en faire une réelle habitation, seulement un endroit pour dormir. Pour les repas et les relations sociales, « l’Étoile de mer » est là, juste à côté. Même la douche se prend en extérieur, sous le caroubier plusieurs fois centenaire.
3 - Les Unités camping
A l’ouest de « L’Étoile de mer », une construction regroupe « Les Unités de camping ». Conçues et financées par Le Corbusier qui y pensait depuis 1954, elles n'ont pu être réalisées qu’en 1956.
C’est une enfilade de 5 chambres en bois très coloré, façon Mondrian, montées sur des pilotis en béton, en surplomb de la terrasse en contre-bas. Une construction qui offre, côté sud sous les chambres, un bel espace de vie en plein air pour la restauration, le travail et autres activités domestiques.
Les chambres de 9 m² sont, comme toujours, très bien agencées et fonctionnelles. Aucun espace perdu. Elles sont équipées d’un petit lavabo, de rangements en cloison ou sous le lit et d’étagères. Les meubles et les murs sont en bois brut, les plafonds très colorés.
Aujourd’hui « Les Unités de camping » accueillent des artistes en résidence.
Et à l’origine de tout cela,
4 - La Villa E 1027
Eileen Gray, née en 1878 en Irlande, était réputée comme designer/ensemblier. En 1923, elle rencontre l’architecte roumain Jean Badovici avec lequel elle se lie d’une solide amitié qui durera jusqu’à la mort de celui-ci en 1956. Influencés par Le Corbusier, l’architecte et la designeuse évolueront de l’Art déco au Modernisme.
En 1926, sur le terrain acheté à Roquebrune Cap Martin par Jean Badovici, elle conçoit, pour ce dernier « Une villa pour un homme jeune qui aime son travail, les sports et recevoir ses amis ».
Construite en léger décalage de l’alignement des terrasses surplombant la mer, la villa ressemble à un navire amiral. C’est ce que recherchait Eileen Gray, cette sensation de protection que l’on a à bord d’un navire alliée à l’impression de liberté de circulation sur les ponts. D’ailleurs, nombres d’aménagements intérieurs font immanquablement penser à un bateau : petite porte ovale comme dans une coursive ; rangements escamotables ; cloisons modulables, etc. Comme sur un bateau, le moindre espace est optimisé.
Clin d’œil encore à la navigation, ce tapis bleu aux vagues stylisées qu’elle a conçu pour le salon, et la bouée de sauvetage accrochée à la balustrade.
Vue depuis la mer / Sas d'entrée avec peinture de Le Corbusier / Volets coulissants et fenêtres paravent
De l’extérieur, on remarque vite les volets coulissants qui permettent de moduler, à volonté, l’ombre et donc la fraîcheur dans la maison. Eileen Gray disait que « des fenêtres sans volets sont comme des yeux sans paupières ».
Ici, au-delà de la fonctionnalité, esthétique et modernisme sont les maîtres-mots. Aujourd’hui que la villa a été restaurée, tout est tel que l’artiste l’avait conçu à l’origine : la boite aux lettres en cuir Hermès ; le filtre à eau dans la cuisine ; les prises, thermomètres et autres interrupteurs ; jusqu’au réseau de fils électriques apparents qui ornent et cheminent en haut des murs. A l’époque, Le Corbusier dira : « la villa est une œuvre d’art total ».
Chaque détail a été conçu et imaginé par Eileen Gray elle-même
Une fois passées l’entrée et la cuisine, pour rejoindre la salle de séjour on traverse un sas avec une fresque de Le Corbusier. Dans le petit salon à l’est, encore une de ses peintures. Sur le balcon plein sud, des toiles tendues cadrent le paysage devant les fenêtres-paravents qui permettent une ouverture complète.
Aujourd’hui, la villa est entièrement meublée de copies ou rééditions du mobilier iconique conçu par Eileen Gray. On y voit, entre autres, le fauteuil Bibendum, le transat en cuir, la petite table de lit, le meuble aux tiroirs pivotants, la table gramophone, une grande carte au mur « Invitation au voyage » et les tapis qu’elle a dessinés, etc.
Jusqu’en 2017, sur le mur ouest, une peinture aux teintes vives réalisée par Le Corbusier, probablement sans l’accord d’Eileen Gray, perturbait l'ambiance recherchée. Depuis, elle a été masquée derrière un paravent mobile en bois blanc. Ainsi, l'harmonie de la pièce voulue par la conceptrice est respectée.
Un ameublement/déco créé pour la salle de séjour, et le bureau à l'entrée avec une œuvre de Le Corbusier
Au rez-de-chaussée haut, la chambre principale avec son coin toilette a été complètement restaurée et les meubles et textiles reconstitués. La salle de bain est étonnante de luminosité, avec sa porte coulissante, son grand miroir vertical et son puits de lumière au-dessus de la baignoire habillée d’aluminium.
Au rez-de-chaussée bas, la terrasse sous les pilotis mène vers la chambre d’amis. Encore un espace intime, fonctionnel, équipé d’un grand placard – seule pièce d’origine existant encore - , d’un lavabo au miroir « Satellite » avec lampe intégrée et divers meubles/rangements modulables. Face au secrétaire entre les deux fenêtres, trône encore une peinture de Le Corbusier.
Eileen Gray avait un sens pratique très développé, combiné à un sens aigu de l’esthétique d’où l’humour n’est pas absent. Ici, tout est beau, fonctionnel, délicat, dissimulé, escamotable. Le moindre détail de décoration et d’agencement est empreint de subtilité, d’intimité et d’un sens du pratique tout à fait féminin.
A la mort de Jean Badovici en 1956, Le Corbusier s’occupera de la vente de la villa à une amie suisse qui aura la mauvaise idée d’en faire don à son psychiatre. Celui-ci dépouillera la maison de tout son mobilier et des aménagements. Il y sera assassiné en 1996 et, laissée à l’abandon, la villa sera squattée et vandalisée.
En 1999 elle est rachetée par le Conservatoire du Littoral. Depuis 2018, après restauration et reconstitution, tout le site est désormais géré par le Centre des Monuments Nationaux, pour le plus grand bonheur des visiteurs.
(*) L’énigme du nom E 1027:
E pour Eileen, 10 pour le J de Jean (10éme lettre), 2 pour le B de Badovoci (2éme lettre), 7 pour le G de Gray (7éme lettre).
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Le 2éme jour de visite fera l'objet d'un prochain article.
A bientôt !